Lettre ouverte à tous les gens qui travaillent au contact de la clientèle et qui n’aiment pas ça

janvier 26, 2015 dans ma vie par Paf

binet

J’en ai marre. J’en ai marre de voir vos gueules de raies, vos tronches amorphes. J’en ai marre de vous voir soupirer, lever les yeux au ciel. J'en ai marre de contempler vos démarches trainantes. J’en ai marre de vous importuner quand je vous pose une question, d’avoir l’impression de vous faire chier quand je demande un truc qui suppose que vous vous remuiez le cul pour me satisfaire en tant que client.

Alors que vous faites votre taf, qui consiste à entrer en relation avec d’autres êtres humains et de les accompagner de manière à ce que ces êtres humains aient envie de consommer les biens ou services de votre entreprise, assurant par là même votre subsistance. Vous êtes peut-être mal payés, on vous en demande probablement toujours plus, mais c’est pas de ma faute. Vous trouveriez normal qu’un acteur de théâtre fasse une représentation de merde parce qu'il n'était pas un bon jour ? Que votre dentiste vous fasse mal parce qu’il a un contrôle fiscal ? Ben pour nous c’est pareil, nous revendiquons le droit à ignorer vos vicissitudes, à ne pas subir vos airs las et vos réponses neurasthéniques. Le top du top, c’est quand en plus vous nous prenez pour des cons. Là, c’est sublime.

Le pire, c’est que c’est tellement généralisé dans notre beau pays que l’on pense que c’est ça qui est normal. Quand je bossais en magasin avec mes potes (et je l’ai fait pendant dix-huit ans), je me disais qu’on était hors du commun à être toujours souriants, et accueillants, même quand on venait nous interrompre dans le remplissage du rayon. Bon, on vendait des jeux vidéo et c’est ce qu’on préférait dans la vie, alors tu me diras que c’était fastoche. Mais non, parce qu’en allant dans d’autres rayons du magasin, j’en voyais qui tiraient des gueules de six pieds de long à longueur d’année. Je voyais aussi des caissières souriantes à longueur d’année alors que ce boulot est bien répétitif, bien procédurier.

Et puis un jour, tu voyages dans un pays anglo-saxon et là, t’hallucines. C’est marrant, je ne m’y habitue pas. Enfin je veux dire que ça ne me blasera jamais. La dernière fois, c’était la petite nana de l’agence de location de voiture à Manchester, qui me demande comment nous allons et si notre voyage s’est bien passé, me demande d’où nous venons, salue les enfants, demande leurs prénoms, donne le sien et enfin te demande comment elle pourrait te rendre service aujourd’hui. Je me fous que cela soit scripté par son entreprise. Elle le fait bien et fait en sorte que le moment que nous passons avec elle soit agréable. Je ne crois pas qu’elle est plus fatiguée à la fin de la journée que le connard qui ne répond pas à ton bonjour et t’expédie avec l’air maussade en traînant du pied. Et la grande majorité des relations avec des gens qui bossent sont du même calibre. Dans ce pays, même les chauffeurs de taxi sont courtois et prêts à te renseigner, je te jure, un truc de dingue.

J’ai suivi plein de formations sur la satisfaction client, l’accompagnement, l’art de gérer une file d’attente… Bien sûr il y a des techniques mais avant tout il y a une envie de rencontrer autrui et d’échanger avec. À la fin, je préférais engager un gamin souriant qui n’y connaissait que dalle qu’un hardcore gamer qui se la pétait sans être capable de sourire pendant un entretien d’embauche.

Donc vous tous, les moroses, les démoralisants, les mélancoliques frénétiques de guichet, les avachis fatigués d’avance de nous répondre, ceux qui n’écoutent pas, ceux qui savent déjà ce qu’on va leur demander, ceux qui peuvent passer à moins d’un mètre de toi sans te voir ni t’entendre, rendez-nous vous service : faites autre chose.

Je dédie ce billet à Pascal et sa statuette à la con, qui m’a l’air d’avoir fait de gros progrès malgré une authentique misanthropie . Je le dédie également à mon primeur, mon fromager et mon boucher du marché d’Aligre qui sont sympas qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle. Je vous ferai un autre billet si vous voulez sur les clients à la con, j’en ai contemplé quelques-uns aussi dans ma vie.