Quand je croise un vieux “pittoresque” de mon quartier
juin 25, 2013 dans ma vie
Ce matin, je me suis fait agresser. Pas physiquement. Moralement. Par une figure pittoresque de mon quartier.
Tu sais, ces vieux qui parlent fort, pour que tout le monde les entende bien, pas seulement parce qu’ils sont durs de la feuille. Ceux qui passent une plombe devant toi, à essayer de taper le bout de gras avec la petite caissière qui n’en a rien à secouer, qui les subit tous les jours et mérite par là même une béatification d’office. Ceux qui dégainent leur porte-monnaie après qu’on leur ait dit ce qu’ils doivent payer, comme s’il n’était pas prévisible qu’il allait falloir le sortir pendant qu’ils poireautaient. Ceux qui te prennent à témoin de leurs bons mots qui ne le sont pas, ces champions du proverbe à deux balles, du lieu commun éculé, ces gardiens des traditions séculaires, des us et coutumes (selon lesquelles par exemple un garçon doit avoir les cheveux courts, je sais, c’est un leitmotiv en ce moment, mais j’ai vraiment du mal), qui se croient météorologues, sociologues, économistes et politologues chevronnés sous prétexte qu’ils lisent le Parisien. Qu’ont tout compris à tout et envisagent de partager avec toi cette somme de savoir et d’expérience considérable.
Ce matin, j’allais rentrer chez un marchand de journaux quand une figure pittoresque s’est appuyée au chambranle de la porte, l’obstruant ainsi complètement, et a commencé à interpeller la buraliste haut et fort à propos d’une éventuelle remise pour achat groupé de tickets de Banco qui se voulait humoristique. Celle-ci, que j’apercevais sous le bras de l’individu, semblait apprécier autant que moi l’humour de son client, mais souriait de ce sourire de politesse que tu fais à tous ceux qui t’emmerdent, tu peux pas passer ta vie à te fâcher avec tes contemporains. Surtout quand t’es commerçant. La “figure” semblant ne m’avoir pas vu et être prêt à continuer à déblatérer, je me fendis d’un gentil “excusez-moi” pour pouvoir passer. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! J’avais osé couper la tirade du maestro de mercerie et autres commerces de proximité ! Il me jeta un regard mauvais et déclama "il est pressé ?" à la cantonade. J’adore qu’on me parle à la troisième personne. Vraiment, y’a pas beaucoup mieux pour moi. Je lui répondis donc en m’adaptant à son registre que "Non, il est pas pressé, mais c’est pas une raison pour qu’il attende devant la porte, d’autant qu’il n’a pas la moindre idée de la durée du sketch". J’avais sorti vraiment beaucoup trop de mots pour qu’il puisse me répondre quelque chose de péremptoire.
Retiens cette technique, préado : si on attend de toi une réponse courte, motivée par une question fermée (note pour les jeunes : une question fermée est une question à laquelle on ne peut répondre que par oui ou non, par opposition à une question ouverte, par exemple “comment va ton transit intestinal ?”), fais-toi le plaisir d’une réponse riche et nourrie. Ton interlocuteur en perd souvent son fil, ce qui au final te fait gagner du temps.
Il a donc préféré ne pas jouter verbalement avec moi, s’est poussé pour me laisser passer tout en entreprenant de ressortir son bon mot à la buraliste, qui n’avait pas dû l’entendre puisqu’elle n’avait pas ri aux éclats. Fin de l’anecdote.
J’étais de bonne humeur avant ça.
Ce sont souvent les mêmes qui essayent de toucher ton enfant, de lui pincer bonhomement (que j’invente d’avec bonhomie) la joue, ou de lui passer la main dans les cheveux avec des airs faussement gentils dont ils ne sont pas dupes, les lardons. Merde, qu’est-ce que c’est que ce principe selon lequel on peut se permettre avec un enfant ce qu’on ne ferait jamais à un adulte ? Touche pas à mon gosse ! Un jour, faudra que je me fasse le plaisir d’en ébouriffer un ou une qui aura réussi à le faire au minus sans que j’ai le temps de l’en empêcher. Comme dirait Barney : Challenge Accepted !
Les figures pittoresques du quartier me font chier.
Ça ira mieux demain. Demain, je leur retrouverai des circonstances atténuantes, je me dirai qu’ils sont sûrement très seuls, que ce doit être dur, la grande ville impersonnelle pour une personne âgée.
Oui, demain, ça ira mieux.